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SUR LA ROUTE DU JAZZ/ MICHEL PETRUCCIANI/ LE FILS PRODIGE DU JAZZ

Autodidacte, le Jazz est pour ce musicien une histoire de famille. Dernier d’une fratrie de trois, Michel Petrucciani tombe dans la marmite dès son plus jeune âge. Son père Tony guitariste et inconditionnel de Wes Montgomery ainsi que de Joe Pass, apprend la musique à Philippe l’aîné lui aussi guitariste et à Louis qui tiendra la contrebasse.

Lui sera le dernier garçon qui naquit en 1962 et comme ses frères, baigne très jeune dans le Jazz pour devenir le pianiste que l’on connait, celui qui partira aux Etats Unis à l’âge de 19 ans.

Tony que nous avions rencontré en mai 2021 nous raconta quelques anecdotes sur ce fils prodige, émouvantes concernant ce parcours musical insolite.

Un soir, il rentre à la maison trouve Michel couché à côté de la contrebasse en jouant les walkin et autres motifs. Plusieurs heures par jour, il travaille le piano joue avec son père et ses frères relève des solos en repassant les vinyles au ralenti.

Un jour, le trompettiste Clark Terry de passage en France doit jouer en concert mais son pianiste ne peut pas assurer le gig. Michel est là impatient propose de le remplacer. Le trompettiste lui demande si il sait jouer le Blues. Impressionné après quelques minutes, le musicien Américain est littéralement scotché. Il a déjà tout d’un futur grand.

Avant de partir aux Etats Unis, il enregistrera en 1981 en compagnie de Jean-François Jenny Clark et Aldo Romano son premier album, intitulé « Michel Petrucciani ».

Figutent le standard « Days Of Wine And Roses » mais surtout, une composition originale exprimant le sentiment de nostalgie, intitulée « Hommage à Enelram Astenig ». Ensuite il sort un magnifique disque en trio intitulé « Estate »en 1982. Sur cet album, Michel reprendra « Very Early » de Bill Evans, le pianiste qui l’influencera le plus.

Il consacrera d’ailleurs à ce poète du Jazz un album en solo intitulé « Oracle’s Destiny ».

Il sera à cette période celui qui remettra Charles Lloyd sur les rails du Jazz et sera même son directeur musical. Au cours d’un concert à Montreux qui sera publié chez Elektra, le quartet reprendra aussi ce morceau « Very Early » un trois temps aux harmonies complexes mais à la

Aux Etats Unis il enregistre « Toot Sweet » avec l’altiste Lee Konitz pour un sommet d’intimisme musical.

La version d’ « I Hear A Rhapsody » est absolument délicieuse. Les notes sont d’une grande souplesse dans la sonorité et l’articulation des phrases.

Si Michel Petrucciani est un grand interprète de standards, il se distingue par des compositions au sens mélodique élevé

En 1986, Michel passe chez Blue Note Records et écrira des morceaux qui seront non seulement des pépites du point de vue esthétique mais qui seront des standards du Jazz Français.

Dans « Pianism », avec le contrebassiste Palle Danielson et le batteur Elliot Zigmund, le pianiste propose une composition intitulée »The Prayer » au swing souple et lumineux. Le concert à Montreux « Power Of Three » avec Jim Hall et Wayne Shorter montre tout le talent d’accompagnateur du pianiste. « Beautiful Love » et « In A Sentimental Mood » sont de l’émotion pure.

Parmi les morceaux de Michel les plus connus, nous trouvons le thème « Brazilian Suite I » figurant sur « Michel Plays Petrucciani », puis « Brazilian Suite 2 » extrait de l’album « Music » et Brazilian Suite 3 sur « Playground ». Sur ces albums, le pianiste jouera avec les grands Jazzmen comme les contrebassistes Eddie Gomez, Gary Peacock, et les batteurs Al Foster, Roy Haynes ou encore Victor Jones.

Le thème « My Be-Bop Tune » figurant sur « Music » est un morceau qui se joue à fond la caisse et qui est un exemple de la virtuosité de ce pianiste. On peut évoquer également « Mémories Of Paris » une ballade qui touche en plein cœur par ses accents nostalgiques.

Il enregistrera en 1988 plusieurs versions en duo avec le saxophoniste Bob Malach. Les articulations sont parfaites le thème est écrit comme un morceau de Charlie Parker.

Ce morceau illustre toute la technique et l’assise rythmique grandiose.

Avec le saxophoniste, ils jouent « You Must Believe in Spring » chef d’œuvre signé Michel Legrand. Bob Malach a un souffle absolument envoûtant de tendresse et Michel au piano place les accords avec émotion entre les notes. Ce duo n’est pas signé chez Blue Note même si le pianiste signera sept disques dont certains ont été évoqués plus haut.

Le Live de 1991 à l’Arsenal de Metz est un régal surtout lorsqu’on écoute « Estate ». Michel donne la sensation de caresser les touches du piano. L’introduction du solo est toute en douceur, les motifs merveilleux sous les doigts de ce musicien exceptionnel.

La densité rythmique monte en puissance au fil du solo. Les phrases sont ressenties avec feeling et émotion.

Les rencontres sont pour lui essentielles, il joue souvent avec de nombreux musiciens change de configuration entre solo, duo et trio.

En 1993 l’aventure continue chez Dreyfus avec le projet « Marvellous », où Michel se trouve entouré de Dave Holland et Tony Williams.

Le disque commence sur les chapeaux de roue avec cette composition « Manhattan » au tempo up et des phrases renversantes imprégnées de Be-Bop. Sorti en 1994 ce disque est très important dans la carrière de l’artiste. « Charlie Brown » est une mélodie aux accents de tango. La main gauche du pianiste est bien solide.

La composition « Even Mice Dance » illustre une fois de plus la mélodie si chère à l’écriture de Petrucciani. La mélodie en trois temps respire le romantisme et la poésie accentuées par les arrangements de cordes du Graffiti String Quartet.

Aux allures de Bossa Nova, la mélodie « Why » vous transporte dans un imaginaire doux et tendre.

Si les phrases sont à couper le souffle le jeu en accords main gauche et main droite sont précis et puissants.

Avec « Shooting Stars », vous prenez une dose de Swing et d’énergie. On entend le Walkin Bass de Dave Holland ne pas dévier et le jeu de Tony Williams qui joue par séquences binaire ternaire.

Émotion finesse sobriété me viennent à l’esprit quand j’entends « You’re My Waltz » un morceau lumineux plein d’espérance.

Les ornementations de cordes de la melodie ne sont plus de la poésie mais de l’alchimie.

Attention attachez vos ceintures sur le thème au tempo up swing « Dumb Breaks ».

Les trajectoires que prend le pianiste donnent le vertige. La contrebasse avance en walkin, tandis que Tony Williams varie son jeu.

La composition suivante est un exemple supplémentaire de ce qu’est l’œuvre de ce pianiste raffinée recherchée sur le plan harmonique et surtout emplies de poésie.

Après cet album presque exclusivement réalisé à partir de compositions originales avec cette section rythmique de haut vol, Michel Petrucciani qui aime jouer avec différents musiciens publiera « Conférence de Presse » avec Eddy Louis.

Ce disque fut pour moi la découverte de ce grand pianiste. Ce fut un éblouissement.

Sa main gauche sur la version de « So What » lui sert de contrebasse. Son solo est un exemple à tous les niveaux, sur le placement rythmique, les accords et le groove. Michel Petrucciani aimait les conversations ce dialogue à deux, comme il le fait avec l’organiste.

Il faut aussi avoir à l’esprit que la musique est au départ une histoire familiale chez les Petrucciani. En 1990, il enregistre avec Louis Petrucciani le disque « Flashback ». Leur version de « Giant Steps » est absolument fascinante tant les notes de basse et les doigts sur les touches vont vite. Sur un tempo ébouriffant, on entend des phrases comme des tornades sonores.

L’album « Conversation » en duo avec son père Tony Petrucciani vaut le détour tant l’interaction entre guitare et piano est intense. La version de « Summertime » est jouée à un tempo proche de l’ouragan rythmique. Au sujet du duo avec Tony, celui ci nous raconte un soir où ils jouent à l’Umbria Jazz Festival avec Michel. Son fils jette un œil à travers le rideau lui dit que les géants du Jazz sont la au premier rang. Michel est très impatient, son père impressionné, mais le concert qu’ils donnèrent fut un grand moment.

Toujours avide de rencontres, Michel Petrucciani joue avec Stéphane Grappelli en 1995. Tous deux sont accompagnés de George MRAZ et Roy Haynes. La version de « Sweet Georgia Brown » laisse entendre le piano naviguer de notes en notes par des chemins Be-Bop.

Sur « Lover Man » magnifique ballade, le pianiste plaque les accords avec sensibilité.

Deux ans après, le pianiste sort son dernier album intitulé « Both Worlds » sur lequel figurent Steve Gadd, Anthony Jackson ainsi qu’une section de cuivres réunissant Bob Brookmeyer, Stefano Di Battista et Flavio Boltro. Les mélodies du pianiste arrangées avec sobriété et justesse nous procurent de nombreuses émotions.

Le titre « Colors » résume l’approche de Michel, pianiste virtuose qui composait ses mélodies avec nuances et subtilité. Cette virtuosité, il la mettait toujours au service de la mélodie.

Du début de sa carrière jusqu’à la fin, il ne cessa d’arpenter de nouvelles contrées en explorant de nouveaux paysages harmoniques.

Influencé à la base par Errol Garner et Duke Ellington, Michel travailla très dur son instrument pour pouvoir comprendre les harmonies modernes, notamment celles de Bill Evans. Doté d’une assise rythmique infaillible, il pouvait jouer en solo tout un concert comme l’illustre « Au Théâtre Champs Élysées » ou le « Live in Germany ».

Le 6 janvier 1999, ce monument du Jazz que j’ai eu la chance de voir une fois en octobre 1997, s’éteint à New York. Après sa mort sortiront le live in Tokyo où il est entouré de Steve Gadd et Anthony Jackson. Plus tard en 2007, sort le  » Piano Solo: The Complete Concert In Germany » où il reprend notamment « Besame Mucho » avec beaucoup de sensibilité et de lyrisme.

En 2009 le duo avec Niels-Henning Ørsted Pedersen vous plonge dans les standards avec entre autres « All The Things You Are » « Billie’s Bounce » « Saint Thomas » ou « Round Midnight ».

En 2016, sortira « Both Worlds Live » qui reprend les compositions enregistrées quelques mois auparavant avec une version de « Take The A Train » au rythme groovy binaire ternaire sur une structure harmonique qui se dédouble soit 64 mesures au lieu de l’original.

Cet arrangement montre l’inventivité de ce musicien hors normes.

Ses compositions alliaient la complexité harmonique avec des thèmes chantants.

Maîtrisant aussi bien l’accompagnement que l’improvisation, le pianiste pouvait jouer les différents styles Ragtime, Swing et Be-Bop.

Si petit par rapport à son piano, ce musicien exceptionnel se transcendait dès lors que ses doigts parcouraient les touches.

Malgré son départ précoce à l’age de 36 ans, il reste l’un des très grands pianistes de l’histoire du Jazz. Si certaines critiques injustes lui reprochaient son manque d’innovation, Michel Petrucciani composa au contraire des morceaux aux harmonies modernes et aux mélodies séduisantes.

De plus, peu de musiciens sont aussi émouvants lorsqu’ils s’expriment à travers les thèmes et les improvisations.

Nous tenons à remercier Antoine Tony Petrucciani que nous avons pu rencontrer à la Cadiere d’Azur, grâce à un ami commun Marc Palo qui créa les conditions propices à la réalisation de l’entrevue.

Si Tony nous confia des histoires drôles mais émouvantes, il nous parlera aussi de quelques moments plus douloureux liés à la maladie congénitale de son fils, l’osteogenese imparfaite.

Son amour pour la musique et le piano aida son fils tout au long de sa vie à dépasser cette constante souffrance. Malgré tout cela, Michel a trouvé dans le Jazz une énergie une flamme qui l’anima et qui le dressa au plus haut niveau !

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