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SUR LA ROUTE DU JAZZ/ MARTIAL SOLAL 1927-2024

Celui dont on parle, est un monument du Jazz hexagonal et au delà, un immense pianiste qui était également reconnu sur le plan international.
Martial Solal épousa le langage du Jazz, ses codes, ses rythmes, en s’imprégnant de grands maîtres comme l’un des pionniers Art Tatum.
Le Jazz étant originellement une musique improvisée, mêlant harmonies Blues et Swing. Cette musique s’est fondée au fil des jams, des expérimentations et des bands.
L’éclosion du Jazz s’est donc faite en douceur et peu de théorie était nécessaire.
Les musiciens ressentaient cette musique qui fut théorisée par la suite et meme enseignée.
Américains ou non, beaucoup de musiciens ont parcouru leurs instruments, reproduisaient ce qu’ils écoutaient.
René Urtreger raconta que quand il accompagna Miles, le trompettiste ne lui donnait pas d’indication et découvrait ce qu’il jouait sur le moment.
À écouter ses réalisations, au début de sa carrière, Martial Solal a travaillé la technique stride Ragtime, dont un des plus grands fut Art Tatum.
A l’époque, s’il existait le Conservatoire pour la Musique Classique, le Jazz n’était pas enseigné en France. Les musiciens travaillaient pour transcrire les thèmes et solos à l’oreille.

En 1953, Martial accompagne le génie Django Reinhardt lors de sa dernière session d’enregistrement. Le pianiste a des accords doux, quelques voicings légers sur le morceau “Le Soir”.
Les accords sur la ballade “I Cover The Waterfront” sont soyeux.
En 1956, il sera aux côtés d’un autre guitariste Henri Crolla, admirateur de Django lui aussi.

Le pianiste accompagna de grandes étoiles du Jazz, les trompettistes Clifford Brown, Dizzy Gillespie, ainsi que les sax tenor Sonny Rollins, Lucky Thompson Don Byas ou Stan Getz.
Le disque “Bell Hop” avec Don Byas et Lucky Thompson.

En 1963, le trio à Newport avec Teddy Kotick et Paul Motian est une nouvelle étape de son travail de sideman en compagnie des Jazzmen Américains quand ils étaient à Paris.
Si le son est plutôt anguleux et sec, le pianiste développe de jolies phrases dès l’exposition du thème “Poinciana”, qu’il interprète en variant quelques notes.
En1965, il accompagne Wes Montgomery lors d’un concert en Belgique.

Parallèlement, le pianiste joue avec le contrebassiste Guy Pedersen et le batteur Daniel Humair. On entend les envolées, les percées de piano et les variations de batterie. Écoutez “Jordu” de Duke Jordan au cours duquel on entend le style venant des pianistes traditionnels.
Les tempos sont rapides, l’exécution est nette et précise.

En trio avec Bibi Rovere et Charles Bellonzi sur le disque “En Direct Du Blue Note”, réplique Parisienne du club New Yorkais. Le pianiste fait gronder le piano sur l’introduction de “Caravan”, dont il joue la première partie, suivie de la seconde partie exposée par la contrebasse.
Le pianiste aimait la gradation de l’intensité.
On entend un pianiste libre qui se détache de la mélodie pour en faire quelque chose de personnel.

À la même époque, il est dans une formule que l’on connaît de Sonny Rollins.
Martial se retrouve en trio en 1965 avec le saxophoniste Autrichien Hans Koller et le guitariste Attila Zoller. J’aime comment chacun respecte les règles tout en cherchant des surprises.

Le pianiste très prolifique pour les projets compose la musique de films dans les années 60 par exemple, “A Bout de Souffle” de Jean Luc Godard.

J’entends le pianiste jouer du clavier électrique en 1974, en compagnie de Bernard Lubat et Henri Texier, une jeune rythmique qui part avec le pianiste vers les chemins d’un Jazz un peu plus smooth et Funky, dans la mouvance de l’époque. Funky et groove la batterie et la basse jouent un rythme entraînant. Le titre des morceaux indique l’humour dont faisaient preuve le pianiste.
De ces thèmes mélodieux, on entend des séquences lumineuses, comme celle de “Un Train Vaut Mieux Que Deux Tu l’auras”. Ce disque est groovy lumineux.

Martial aimait aussi la musique contemporaine et classique qui étaient dans l’enceinte stylistique du pianiste.
Suite en Db majeur “La suite pour une frise”. On entend les accents de Monk, les dissonances, les intervalles particuliers, le niveau d’appropriation du langage des musiciens impressionne.

Le pianiste aimait participer à différents groupes aux configuration différentes.
Il maîtrisait l’art du solo comme le montrent son hommage à Duke Ellington et son album “Bluesine” de 1983.
Les deux disques en solo sont de grande qualité. Le toucher métallique et les réharmonisations sont deux éléments essentiels chez ce pianiste. Martial Solal n’est jamais resté inerte en matière d’esthétique toujours prêt à rebondir vers une nouvelle trajectoire. Le morceau “Bluesine” représente la classe, l’élégance et la sophistication.

Il mena de très belles conversations avec notamment Lee Konitz, Didier Lockwood ou encore Eric Le Lann.
À côté de cela, le pianiste tissa de jolis duos notamment avec le violoniste Didier Lockwood en 1993.
Les deux musiciens savent où ils sont à chaque instant, convergent, se complètent et se laissent de l’espace. Le piano aux voicings ravageurs, accompagne le violoniste qui éclate par sa luminosité et sa technique.
Reprise grandiose de “Nuages” où le piano et le violon se font les yeux doux parfois se jaugent.
“Someday My Prince Will Come” trois temps magnifique est interprété avec grâce par le violon.

En 2000, Eric Le Lann le rejoint pour un duo dont le titre est “Portrait In Black And White”, un enregistrement live. J’aime le son de la trompette et ce souffle à la Chet sur la composition “Portrait In Black And White”. Le piano swingue par ses voicings et ses lignes qui donnent l’impulsion.

Avec l’altiste Lee Konitz, il forme un duo qui présente une musique apaisante douce, par l’entente et la complémentarité du son doux de l’alto et des voicings délicats de piano.
Ecoutez “Duplicity” de 1978, où l’on ressent la complicité des deux musiciens, surtout la capacité de Martial Solal à suivre les directions du saxophoniste.

Il participe à toutes les aventures. En 1979 il enregistre avec John Scofield, Lee Lonitz et Niels Henning Orsted Pedersen.
L’album s’appelle “Four Keys”.

Le jeu en trio avec Marc Johnson et Peter Erskine en 1995 sur l’album “Triangle” illustre une fois de plus les talents de compositeur de Martial Solal. Entre les trois compagnons, l’Interplay est beau les espaces se créent. Les nuances sont présentes les placements les phrases de piano de contrebasse, les interventions du batteur sont élégantes et de qualité.

Un autre album à découvrir est celui qu’il enregistre avec Gary Peacock et Paul Motian tire du nom du standard.
Le pianiste communique son émerveillement, ses phrases variées donnent le sentiment que son inspiration est infinie. J’aime la rondeur de Gary Peacock et la souplesse du jeu de Paul Motian.

Martial Solal aimait les rencontres et aimait également l’arrangement pour grand orchestre.
Magnifique arrangeur, Martial publie en 1984 “Big Band” aux trajectoires visionnaires et modernes.
“Et Si C’était Vrai” démarre par des riffs de cuivres puissants, détonnants. Chaque section, trompettes, trombones, tuba et sax interviennent à tour de rôle avant de se rejoindre toutes ensemble.
Très moderne l’écriture est différente des big bands classiques.
On entend le violon développer des lignes soutenues par la guitare. Les saxophones trompettes, trombones et tuba tissent des nappes souvent mystérieuses énigmatiques, sombres et parfois toutes en swing.
En grande formation, le pianiste enregistre en 1999 un très bel album intitulé “Contrastes” avec à ses côtés le Danish Radio Jazz Orchestra sur quelques morceaux. L’énergie est là aussi au rendez- vous, créee par les riffs étincelants des différents soufflants. L’attaque du piano est surprenante, tantôt douce parfois puissante. Les riffs de cuivres sur “DRJO no.1” sont puissants piqués syncopés et même parfois torturés.
Grondements de l’orchestre de soufflants, entre nappes calmes et bondissements sonores, le disque propose une alternance de climats. Le disque montre la sophistication et la modernité d’un pianiste qui s’est intéressé à tous les courants.
Sur le morceau “Mythe Décisif”, je retrouve des couleurs du disque de Claus Ogerman “Cityscape”, en écoutant le solo de saxophone. J’aime ces séquences quelque peu dissonantes, énigmatiques qu’on entend entre nappes de cuivres et voicings de piano.
On est emportés par la fougue de l’orchestre qui monte en puissance au fil du morceau.
En Big Band toujours, il sortira un très bel hommage au Duke en 2000. Ecoutez la version de “Satin Doll”, auquel le pianiste donne des accords improbables.
En 2007 “Exposition sans tableau” est un thème lumineux magnifiquement arrangé.

Le sens de l’improvisation est inouï chez ce musicien qui improvise sans limites.
En essayant de présenter le plus largement possible l’œuvre de Martial Solal, on pourrait évoquer de nombreuses musiques de films dont une des plus célèbres est celle d’”A Bout De Souffle” de Jean Luc Godard.

Vers 2017, le pianiste sur “Masters In Paris” entame de belles conversations autour des standards sont très cool en compagnie de Johnny Griffin. Dans “Masters In Bordeaux”, le pianiste joue avec le saxophoniste Dave Liebman pour jouer des grands standards. “Night And Day” est simplement interprété en duo avec feeling, où de temps en temps les salves de sax s’envolent.

Martial Solal a toujours joué sur son piano sans tout prévoir à l’avance. Il pouvait s’adapter sans cesse aux trajectoires qu’on lui proposait, avait ce goût de partir vers une contrée sonore et y revenir. Pour lui, la musique était une aventure perpétuelle, dans laquelle il se plongeait sans crainte avec un bonheur constant.
Le grand pianiste a eu une influence sur des musiciens Français et étrangers plus jeunes, comme Manuel Rocheman ou Antonio Farao.
Technique tirée des grands du piano, Art Tatum ou Fats Waller.

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