Les deux saxophonistes ténors Jerry Bergonzi et JD Allen sortent chacun un album chez Savant Records.
Jerry Bergonzi n’est plus à présenter, un des saxophonistes ténors de cette génération magnifique à laquelle sont associés Michael Brecker, Dave Liebman, Bob Berg, Steve Grossman, Bob Mintzer ou encore Joe Lovano.
J’ai découvert ce saxophoniste grâce à un de mes professeurs Claude Djaoui qui il y a 20 ans me parla de ce grand Jazzman.
Il est par ailleurs un grand pédagogue, qui écrivit plusieurs méthodes consacrées à l’improvisation.
Signant sur Savant depuis quelques années, Bergonzi s’entoure de nouveaux compagnons, le contrebassiste Harvie S Bass et le batteur Luther Gray. La surprise de cet album vient du fait que Jerry remplace le piano par une guitariste de grand talent Sheryl Bailey.
La rythmique guitare contrebasse batterie insuffle une pulse souple et dynamique.
Jerry Bergonzi a choisi comme instrument harmonique la guitare. Démarrant par « Loud-Zee » une ancienne composition, le trompettiste Phil Grenadier Phil Grenadier Jazz s’envole avant que le saxophoniste à la sonorité proche de Joe Henderson ne déroule un solo. La guitariste a un son grave, rond et déroule des phrases Be-Bop mais aérées.
Sur le second morceau « Extra Extra » écrit dans une structure 14 mesures, Sheryl Bailey développe un solo au départ en accords et part dans des phrases en notes simples qu’elle ponctue d’accords.
Les thèmes sont assez mélodieux comme on l’entend sur le titre suivant « Double Billed ».
La découverte pour moi sur ce disque est la guitariste qui joue des phrases lumineuses.
Le thème « Czech Mate » introduit par la guitare exprime un désir d’évasion. Le saxophoniste expose une musique modale. La guitariste donne l’impression de chercher sans cesse des trajectoires lorsqu’on écoute les phrases. Le trompettiste prend l’envol par la sonorité.
Le saxophoniste joue une magnifique composition très apaisante intitulée « The Truth », au cours de laquelle les balais du batteur et la rondeur des notes d’Harvie S créent un climat chaleureux.
La suite est un thème plein d’espoir puisqu’il est consacré au président Obama. Sur un tempo médium, le saxophoniste tente de transcrire l’espoir en jouant sur un swing heureux.
Sur un rythme binaire, la guitare déroule des arpèges clairvoyants pour une mélodie mêlant espoir et noirceur. « Separated » est construit sur un motif que le saxophoniste déplace peu à peu. La partie à 1’11 est toute en finesse, par les respirations et la poésie qui se dégage du saxophone. Le ténor part dans un solo assez lyrique et mélodique auquel succède un solo de guitare qui avec la reverb prend des chemins variés et originaux.
Le dernier titre du disque « They Knew » est une mélodie assez douce que le contrebassiste fait rebondir par ses notes généreuses.
Jerry Bergonzi avait sorti en 2006 un album intitulé « Tenorist » auquel participa John Abercrombie. Sur le disque qu’il publie maintenant, il trouve chez Sheryl Bailey une accompagnatrice qui se place en retrait tout en étant importante comme sur son travail de soliste.
J.D ALLEN/THIS
Le saxophoniste a enregistré un projet qui sort du classicisme ou de l’esthétique qu’on peut écouter dans la plupart des disques.
Dès le début, le saxophone gronde, lance quelques notes dans l’esprit proche de Coltrane. Il est en duo avec le batteur Gwilym Jones et explore avec fougue les chemins du Gospel, du Blues et du Be-Bop, dans une impro brûlante soulignant les tensions au cours de moments intenses.
Accompagné également de sons électroniques le saxophoniste joue pour les puristes, mais l’énergie est authentique et puissante.
Au niveau de l’ambiance, on peut retrouver des sonorités cosmiques spatiales sur le second morceau « The Revelator » qui est intense fait d’improvisations énergiques.
Les effets électroniques d’Alex Bonney apportent une impression d’angoisse et d’énigme comme on l’entend sur « Know Dogs Allowed ». Les phrases sont synonymes de tension, la batterie traduit un sentiment de déconstruction.
Partant sur un rythme ternaire, le batteur accompagne le saxophoniste dans des phrases que les effets électroniques contribuent à noircir et à assombrir au cours de « Boom-Bap ».
On a l’impression d’une tornade sonore qui souffle intensément et que l’on a pas l’habitude d’entendre. Les sonorités électroniques traduisent un effet d’oppression que l’on ressent sur « Beeyondsay ».
Le saxophoniste veut sans doute exprimer la souffrance dans ce magma de notes. Méditatif la sonorité de J.D est vraiment imbibée de cet esprit Coltranien. Les bruits ressemblent à l’urgence.
Enfin le batteur et le saxophoniste rappellent Trane et Elvin Jones sur « See It Say It, Sorted », une séquence grandiose.
Mystique, spirituel par certains côtés, vous trouverez peut être ce disque dérangeant bousculant vos attentes. Le projet de J.D Allen est très différent de ce que vous avez pu entendre une prise de risques. Le saxophone rugit, la batterie déménage et le créateur de sons envoie des nappes aux multiples ambiances.
JD Allen change de registre avec ce disque qui en surprendra plus d’un, tant il pousse loin la déconstruction. En effet tout le disque est presque de l’improvisation totale.