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NOUVEAUTÉ ALBUM/ JOSHUA REDMAN/ WORDS FALL SHORT

Depuis plus de trois décennies, Joshua Redman s’impose comme l’un des saxophonistes les plus brillants et les plus sensibles de la scène jazz contemporaine. Fils du pionnier Dewey Redman, il a su tracer sa propre voie, entre tradition et modernité, avec une élégance rare. Son dernier album, Words Fall Short, paru en juin 2025 chez Blue Note, en est une nouvelle preuve éclatante.
Pour cette nouvelle aventure musicale, Redman s’entoure d’un trio de jeunes musiciens d’exception : Paul Cornish au piano, Philip Norris à la contrebasse et Nazir Ebo à la batterie. À ce noyau solide s’ajoutent quelques invités de marque : Melissa Aldana (saxophone ténor), Skylar Tang (trompette) et Gabrielle Cavassa (voix). Ensemble, ils forment un ensemble d’une cohésion remarquable, où chaque note semble naître d’une écoute mutuelle profonde.
Le titre de l’album, Words Fall Short, est emprunté à un passage du roman Where Reasons End de Yiyun Li : « Words fall short, yes, but sometimes their shadows can reach the unspeakable. » Cette citation résume parfaitement l’intention de Redman : explorer les zones d’émotion que le langage ne peut atteindre, et laisser la musique dire l’indicible. C’est un disque profondément introspectif, né en partie des réflexions silencieuses de la pandémie, où chaque morceau semble être une tentative sincère de toucher l’âme.
Dès les premières mesures de « A Message to Unsend », on est saisi par la sonorité exceptionnelle du saxophone de Redman. Son jeu, à la fois limpide et chargé d’émotion, s’élève avec une clarté presque spirituelle. Il ne cherche pas à impressionner, mais à dire quelque chose de vrai, de nu. Cette sincérité traverse tout l’album, et confère à l’ensemble une sérénité rare, une forme de maturité artistique qui ne s’impose jamais, mais qui s’épanouit naturellement.
La section rythmique, quant à elle, est d’une précision et d’une souplesse admirables. Paul Cornish, avec son toucher délicat et ses harmonies inventives, apporte une profondeur lyrique à chaque morceau. Philip Norris, à la contrebasse, ancre le tout avec une élégance fluide, tandis que Nazir Ebo, à la batterie, fait preuve d’une écoute et d’une finesse de jeu remarquables. Ensemble, ils créent un espace sonore où chaque respiration compte, où chaque silence est aussi expressif qu’une note.
Les mélodies de l’album sont d’une beauté saisissante. Qu’il s’agisse de la ballade « Borrowed Eyes », du morceau-titre « Words Fall Short » en triple mesure, ou encore de « She Knows », qui évolue vers des territoires plus avant-gardistes, chaque composition est une invitation à la contemplation. Le dialogue entre Redman et Melissa Aldana sur « So It Goes » est un moment fort du disque, tout comme l’énergie communicative de « Icarus », porté par la trompette lumineuse de Skylar Tang.
L’album se clôt sur « Era’s End », une pièce poignante où la voix de Gabrielle Cavassa vient poser des mots sur l’indicible. Sa présence transforme la musique en un chant intérieur, une prière douce et mélancolique qui résonne longtemps après la dernière note.
Avec Words Fall Short, Joshua Redman signe un album d’une grande richesse émotionnelle et musicale. Il ne cherche pas à révolutionner le jazz, mais à en révéler la puissance expressive la plus intime. Chaque morceau est une conversation, un souffle, une confidence.