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NOUVEAUTÉ ALBUM/ 5 FOR TRIO/ VIEUX BOUGRE

Un bébé en costume et nœud papillon, assis sur du sable, le visage caché par un chapeau trop grand, entouré d’objets hétéroclites et démesurés : la pochette de Vieux bougre intrigue autant qu’elle amuse. Elle donne le ton d’un album à la fois singulier, poétique et profondément humain, signé par le groupe québécois 5 for Trio, qui revient avec une œuvre aussi sereine que lumineuse.
Formé de quatre musiciens complices, 5 for Trio est un collectif de jazz moderne qui cultive l’élégance sans jamais sombrer dans la démonstration. À la guitare, Sylvain St-Onge tisse des lignes mélodiques limpides, toujours au service du morceau. Son jeu, à la fois fluide et précis, évoque une conversation calme et bienveillante. À la contrebasse, Mathieu Rancourt ancre le groupe avec une rondeur chaleureuse et un sens du groove discret mais essentiel. Il est le socle sur lequel tout repose. À la batterie, Jean-François Gingras fait preuve d’une finesse remarquable : ses interventions sont toujours justes, jamais envahissantes, et apportent une respiration constante à l’ensemble. Enfin, Jérémie Hagen-Veilleux aux claviers et au piano, colore les morceaux avec une palette subtile, entre nappes enveloppantes et touches impressionnistes.
L’album Vieux bougre, sorti en mars, dégage une grande sérénité. C’est un jazz sans esbroufe, joyeux, accessible, mais jamais simpliste. Chaque morceau est une petite bulle de douceur, portée par des mélodies agréables et un équilibre parfait entre les musiciens. On sent une écoute mutuelle, une volonté de construire ensemble plutôt que de briller individuellement.
Parmi les morceaux marquants, « Aquafortiste » ouvre l’album avec une élégance toute en retenue. Le thème, délicatement ciselé, évoque les traits fins d’une gravure à l’eau-forte, comme son nom l’indique. « Les cendres », plus introspectif, déploie une atmosphère mélancolique sans jamais sombrer dans la tristesse. C’est un morceau qui respire, qui laisse de l’espace, et qui touche par sa simplicité.
« Naufragés de l’indicible » est sans doute le morceau le plus rythmé de l’album. Il évoque une course joyeuse, presque cinématographique, avec des ruptures de tempo et des échanges vifs entre les instruments. On y sent une jubilation collective, une envie de jouer ensemble, de raconter une histoire sans mots.
Enfin, le morceau-titre, « Vieux bougre », est une énigme musicale. Lent, presque hypnotique, il semble flotter hors du temps. On l’imagine parfaitement accompagner une scène étrange d’un film de David Lynch : un personnage silencieux, une lumière crue, un mystère qui plane. C’est une pièce qui reste en tête, qui intrigue et fascine.
En conclusion, Vieux bougre est un album qui prend son temps. Et c’est peut-être pour cela qu’il a mis plusieurs mois à traverser l’Atlantique et parvenir jusqu’à nos oreilles… sans doute transporté à la voile, porté par les vents doux du Saint-Laurent. Mais l’attente en valait la peine : ce disque est un petit bijou de jazz contemporain, à savourer sans modération.