Il est des événements auxquels on ne veut pas croire, se disant qu’il ne s’agit que de mauvais rêves, du moins sur l’instant, puis la triste réalité remonte très vite à la surface.
Quincy Jones, un des derniers immenses personnages du Jazz et plus largement de la Musique, s’est éteint à l’âge de 93 ans. Il était un véritable caméléon, au regard des différentes trajectoires qu’il avait embrassées.
Impressionnant par sa soif et sa curiosité de différents styles, il était un grand chef d’orchestre et compositeur, mais peut être encore plus, un génie de l’arrangement et de la production. Il n’a jamais pensé la musique en cloisons de façon hermétique.
Cet état d’esprit est une des raisons de sa longévité. Il voulait découvrir, parcourir de nouveaux chemins.
Surtout connu pour ses albums en tant que chef d’orchestre et arrangeur, il fut trompettiste sur de nombreuses sessions. Au sein de l’orchestre de Lionel Hampton en 1951, on l’entend jouer une phrase pleine de swing au cours du morceau “Slide, Hamp, Slide”. Quincy joue à 1’01 à l’unisson avec les autres trompettes, puis enchaîne par une phrase en solo de huit mesures entre 1’08 et 1’15.
https://youtu.be/kjE-lIx5xFw?si=FfMPtytm5dgKEvq9
Sideman, il le fut également aux côtés de grands Jazzmen, comme Dizzy Gillespie dont il joue sur le disque “Afro” de 1954. Il joue sur les quatre premiers titres de cet album aux couleurs Africaines et Caribéénne.
Il fait partie du Big Band de l’altiste Gigi Gryce dans lequel se trouve Art Farmer mais aussi Clifford Brown. Cette grande formation jouera un concert à Paris en 1954 qui sortira sur disque sous le nom de Clifford Brown “The Complete Paris Sessions”.
Sur le plan de la composition et de l’arrangement pour Big Band, il faut préciser que Quincy fut élève de Nadia Boulanger. Il accompagna Sarah Vaughan et Ray Charles, avec qui il forma un groupe lorsqu’ils étaient jeunes.
En Big Band, les voiles peuvent être doux, mais lorsque l’énergie monte la section des cuivres et la rythmique explosent comme on peut l’entendre sur “Birth Of The Band” de 1958. Le chef d’orchestre commence à enregistrer en leader à partir de 1955 et sort “Jazz Abroad”. Quincy réunira au cours de ces années de grands musiciens dont le batteur Roy Haynes dont on entend un solo tout en subtilité sur la face B. En 1960 le disque Live “Around The World” laisse la place aux solistes d’exception. Les musiciens qui parviennent à à écrire des partitions pour grand ensemble, m’ont toujours impressionné. Quincy réalise énormément de disques avec des Big Bands. Si vous écoutez l’extrait ci-dessous, son orchestre reprend des thèmes de Cool et de Hard Bop. La formation reprend “Moanin” de Bobby Timmons à 3’55.
Quincy avait une écriture aérée en matière de nappes jouées par les soufflants. La transition du Be-Bop au Cool qui s’opère au début des années 50, se déroule aussi en matière de Big Band. J’entends des nuances, les voiles des cuivres et des saxophones sont joués avec beaucoup de souplesse. Le Jazz de Quincy est apaisant, il n’y a qu’à écouter “Evening In Paris” sur l’album “This How I Feel About Jazz”.
Le travail avec Dinah Washington sur “Swingin with Miss D’” est à écouter également. Dinah est soutenue par des nappes de cuivres lumineuses.
S’ il fallait retenir un seul album de cette période florissante pour Quincy en tant que chef d’orchestre, ce serait sans doute l’album “The Quintessence” publié chez Impulse en 1962 dans lequel les nappes et les couleurs des soufflants sont variées tantôt poétiques et souvent gorgées de swing. Dans “Robot Portrait’ j’entends quelques motifs de la mélodie “Speak no Evil” que Wayne Shorter enregistrera deux ans plus tard sur Blue Note.
“Little Karen” est un sommet de swing en toute décontraction. La reprise de “Straight No Chaser” est construite comme un relais, d’abord les trompettes puis les saxophones avant que tout le monde ne se rejoigne. Écoutez “Invitation” une version mambo où avant les impro, la section cuivres est explosive.
Ses arrangements sont une synthèse entre le traditionnel et les perspectives plus modernes.
L’empreinte de Quincy est indéniable dans le monde du Jazz lui qui dirige autant de solistes tous autant exceptionnels les uns que les autres.
Avec son Big Band, Quincy enregistrera “Soul Bossa Nova” servant des années plus tard de générique au film Austin Powers.
L’arrangeur et chef d’orchestre enregistre en 1964 une session réunissant Frank Sinatra accompagné par l’orchestre de Count Basie. Le crooner interprète les grands standards, “Fly Me To The Moon” “I Wish You Love”, arrangés toujours avec délicatesse pour les trompettes trombones et saxophone.
Une autre partie importante de sa carrière est consacrée à l’écriture de musiques de films.
J’écoute par exemple la musique du film “La couleur Pourpre” en 1984 où certaines séquences font ressentir le lyrisme, la délicatesse de la musique Française du XIXème siècle, légère telle un voile. La musique du film de Spielberg est tout de même connotée Blues, ce qui correspond bien au scénario.
Comme autre film célèbre, il composera la bande originale de “Dans la Chaleur de la Nuit” dont le titre principal est un thème en 6/8 chanté par Ray Charles.
En 1972, il compose le “Love Theme” pour le film “The Getaway” avec Steve Mcqueen dont on entend les notes de Toots Thielemans à l’harmonica. Au total l’arrangeur prolifique écrira la bande originale de près de quarante films.
Dans les années 70, la musique de Jazz est attirée par la Funk, la Soul ou le Rock. L’album “You’ve Got It Bad Girl” de 1973 reste une référence pour les amoureux de la fusion, un disque où les nappes de clavier et les arrangements sonnent Smooth.
En parallèle, Quincy démarre à la fin des années 70 une activité de producteur qui lui confèrera une notoriété au delà du monde du Jazz. Il produira Michael Jackson et notamment deux albums, “Off The Wall” et “Thriller”, deux albums reconnus comme des chefs d’oeuvre de la Pop Funk. Sur le premier figurent entre autres “Rock With You” et “Don’t Stop Til You Get Enough”. Le groove est déjà bien présent, les sons des claviers, les cocottes de guitare enflamment la toile sonore.
Ce climat se retrouve sur l’album de 1982, mené par la fine fleur des musiciens de studio avec en plus, des salves Rock bien claires. Sont présents les guitaristes Steve Lukather, Eddie Van Halen Paul Jackson Jr ainsi que le batteur Jeff Porcaro qui composera “Human Nature”.
“Thriller” tourne autour d’un riff de basse joué par les claviers. “Beat It” est plus détonnant autour d’un gros riff de Rock.
Voici “Human Nature”:
En tant que producteur encore, l’album ”Back On The Block” avec des artistes de prestige, Georges Benson, Ella Fitzgerald Sarah Vaughan sur “Septembro”. “The Secret Garden” est interprété par quatre voix Al B Sure El De Barge James Ingram et Barry White.
Toujours en tant que producteur et conducteur, l’enregistrement de 1991 “Miles & Quincy Live At Montreux” durant lequel le temps d’un concert Quincy prend la place de Gil Evans.
Il découvre Jacob Collier et le produit en 2014 un chanteur et multi instrumentiste des plus talentueux.
En 2017, il crée Qwest TV,une chaîne consacrée à la musique Afro Américaine, ses différents courants, au travers de documentaires d’interviews et de live.
Quincy Jones aura toute sa vie été désireux d’explorer tous les styles et directions musicales. Dénicheur de talents, il les produisait tout en gardant cette activité de chef d’orchestre. Preuve en est l’invitation à conduire lors d’un concert de 2014 l’Amazing Keystone Big Band, ensemble Français composé de grandes pointures
Curieux sans limite, Quincy aura déclaré sa flamme à la belle musique jusqu’au bout multipliant les trajectoires à explorer. Il était un aventurier et pour lui aucun style ne prévalait l’un sur l’autre. Il aimait l’éclectisme et pour lui, aucune barrière n’existait, ce qui illustre une grande ouverture d’esprit.
Au revoir “Q” tel qu’il était surnommé.