Hier après midi, le batteur Marseillais Gilles Alamel m’apprend la disparition d’un grand maître qu’il admire tant, l’immense Al Foster.
La nouvelle est répandue largement sur les sites de Jazz depuis ce matin.
Tout le monde qui a vu ce rythmicien sur scène ou en vidéo, fut surpris par la position si particulière des cymbales. Aloysius Foster de son vrai nom, est parti rejoindre les étoiles du Jazz, qu’il accompagna si souvent.
Un des premiers albums sur lesquels je l’ai entendu, est le magnifique disque de Joe Henderson en hommage à Miles Davis intitulé “So Near So Far”. Le swing est servi par une frappe d’une nature tout à fait particulière, un son métallique sur la cymbale mais d’une finesse notable. Il faut écouter “Joshua”, sur lequel vous entendrez un batteur qui joue avec énergie sans être dans l’excès.
Très précises, les interventions et mises en place étaient sobres. Même sur des morceaux au tempo relevé et énergiques, le batteur avait une frappe en retenue. Il ne cherchait pas le coup d’éclat, accompagnait les solistes sans frapper fort, sans les couvrir.
Dans sa jeunesse, le batteur commença sa carrière en accompagnant l’un des trompettistes les plus élégants, Blue Mitchell. Il jouera sur le disque “The Thing To Do” en 1964, qui s’ouvre par un thème au rythme latin “Fungii Mama”. On entend un batteur de 21 ans totalement détendu dans son jeu. Le swing qu’il impulse est grandiose, magnifique sur le titre éponyme “The Thing To Do”.
Sur le morceau “Step Lightly”, le batteur assure le médium swing en toute tranquillité. Le son de la charlet est lumineux sur “Chick’s Tune” écrit par Chick Corea.
Il participera à “Down With It” en 1965 et “Heads Up” en 1967. Le jeu de batterie n’est pas chargé mais léger.
Dans les années 70, il accompagnera Miles Davis, qui le choisira pour son groove incomparable. On l’entend bien sur “Big Fun” et “Get Up With It” en 1974.
Al sera encore de l’aventure dans les années 80, au retour du trompettiste sur “The Man With The Horn” et “We Want Miles”. Écoutez le solo qu’il fait avec Mino Cinelu, sur le titre “Fast Track”. Le groove monte en intensité puis redescend pour revenir au sommet.
Dans la catégorie des géants, il faut ajouter que le batteur accompagna le colosse Sonny Rollins sur plusieurs albums dans les années 80.
Il ne s’agit pas d’établir un catalogue exhaustif de tous les artistes avec qui ce batteur a joué mais j’évoque des disques ou des thèmes que j’aime beaucoup.
Dans l’album de Kenny Barron intitulé “Landscape”, j’entends et savoure le drive léger et discret, les frappes sur la caisse claire en finesse. En swing ou en binaire, Al est impressionnant par toutes les nuances. Le son est feutré, chaque frappe est mesurée sur le plan du volume.
Un autre grand pianiste avec qui il joua est McCoy Tyner. Al est présent sur “Horizon” ou “Quartets 4×4”. Dans son accompagnement de McCoy au jeu très percussif, Al insiste monte le volume de la frappe. La finesse du jeu, on la retrouve aussi sur les disque “New York Reunion” de 1991. Les balais sont succulents dans le morceau “Miss Bea”.
Aloysius accompagnera Tommy Flanagan au cours d’un disque intitulé “The Magnificent Tommy Flanagan. L’usage des balais est moelleux.
Le batteur accompagna également Cedar Walton, Steve Khun ou Joanne Brackeen.
Si on parle en quelques mots de ce batteur qui influença de nombreux autres batteurs, je vous recommande d’écouter les concerts avec Herbie Hancock datant de la fin des années 80, notamment le concert à Munich de 1988, au cours d’un morceau intitulé “Air Dancing”, le batteur m’impressionne par la variété du jeu la prise de risques, la complexité des mises en place. Al a tous les ingrédients l’espace qu’il apporte, la sobriété des interventions, la justesse. Il s’immisce avec discrétion entre les instruments, tout en étant le pilier rythmique.
Ce grand Jazzman publia quelques disques en leader.
En 1977, il enregistre “Mixed Roots” aux sonorités Jazz Rock prononcées. Michael Brecker y fait des solos renversants et le groove d’Al est très Funky, Soul.
Excellent en binaire, le batteur jouera plus du Jazz acoustique.
Plus tard en 2003, il forme un quartet avec le saxophoniste Joe Lovano, le guitariste John Scofield et le contrebassiste Dave Holland. Leur album “Oh” est un des plus beaux albums de Post Bop des années 2000. À partir de thèmes mélodieux, la rythmique contrebasse batterie, développe un jeu très varié mettant en valeur les solistes. Le jeu du batteur montre son inventivité sur les différents éléments caisse claire, cymbales et charlet. Le solo de batterie sur “Oh” ponctue l’improvisation de contrebasse. Sur le second morceau “Right About Now”, Al Foster fait scintiller les cymbales. Le batteur montre une nouvelle fois sa grande précision et variété dans le jeu, dans le morceau aux couleurs orientales, “The Winding Way”. “Shorter Form” met en avant le dynamisme des tournes latines et binaires rapides. Le swing est léger, dansant, sautillant.
Le batteur caresse la caisse claire sur le morceau “In Your Arms”.
Ces dernières années Al Foster enregistrera deux albums chez Smoke Sessions Records, un label qui célèbre un Jazz ancré dans le Hard Bop.
Dans l’album “Dedications And Inspirations”, j’aime le son et les variations du jeu sur “Ooh What You Do To Me”.
“Kierra” est un mambo où on entend la douceur du jeu d’Al aux balais.
Il enregistre “Reflections” en 2022, un disque dans lequel Al montre son attachement au Be-Bop. Dans une composition en hommage au fils de Thelonious Monk “T.S Monk”, le drive est plutôt souple, même si le son est sec. On entend les nombreux changements du jeu de ride et de caisse claire.
Sur la ballade “Open Plans”, le jeu de batterie est minimaliste mais toujours captivant sur le plan des cellules rythmiques choisies.
Il rend hommage à McCoy Tyner avec “Blues On The Corner”. J’aime les effets de rupture dans le rythme, les effets de surprise.
Joe Henderson est aussi mis à l’honneur avec la reprise de “Punjab”, un thème lumineux qui traduit l’envol une autre dimension. On est dans une décontraction totale.
Chez ce batteur exceptionnel, les surprises étaient toujours au rendez vous.
Ce rythmicien grandiose avait constamment le sens de la nuance, de la subtilité dans sa façon d’accompagner comme dans l’improvisation.
Créatif de mesure en mesure, le batteur explorait des rythmes différents. Son approche de l’accompagnement est basée sur l’aventure et l’improvisation sur les ruptures et les relances. Rien ne semblait être défini à l’avance.
Pour illustrer la grandeur de ce musicien, je partage un extrait du concert où il accompagne Herbie Hancock, Michael Brecker et Buster Williams en 1988. Écoutez le premier morceau “Air Dancing”, une illustration du niveau de jeu absolument stratosphérique du groupe.
Ce qui est très beau à écouter c’est le romantisme qui se dégage de ce thème empreint de poésie. L’interplay est magnifique, les musiciens se rencontrent et s’éloignent donnant l’impression que chacun est soliste. Écoutez le swing, le toucher du batteur tout en délicatesse et d’une grande élégance.
Le morceau commence à 1’30 et se termine à 9’25.