Post Jazz

IMPRESSIONS CONCERT/ CAMILLE BERTAULT 5tet/ LA CAVERNE JAZZ

J’ai assisté hier soir, à l’un des plus beaux moments sur le plan vocal, parmi tous les chanteurs et chanteuses, que j’ai pu écouter.
À ce décor fascinant qu’est la Caverne, un lieu peuplé d’objets d’antiquités, s’est ajoutée la présence et la voix unique de Camille Bertault. C’est une véritable conjonction d’éléments insolites, une artiste venue interpréter ses textes empreints de mystère, quelquefois déjantés, servis par une voix hors du commun, dans un endroit qui semble irréel. De ses textes et de sa voix si particuliers, j’ai ressenti de très nombreuses émotions, très différentes les unes des autres.
Autour d’elle, des musiciens de haut vol et notamment le contrebassiste originaire de Marseille Sam Favreau.
Sans grande surprise, la chanteuse démarre par le titre phare de son dernier projet, “Bonjour mon Amour”, un texte mêlant humour et sensualité qu’elle déclame avant d’introduire la mélodie. La rythmique assortie de la trompette joue un riff qui monte d’un ton puis redescend.
Le quintet poursuit par la chanson “Acrecran”, un cocktail d’énergie servi par une rythmique entraînante toute en finesse et subtilité. Les envolées vocales en introduction du solo de piano de Fady Farah, sont épurées, presque hypnotiques. Les textes allient mystère, humour, espièglerie, brin de folie sur fond d’improvisations punchy comme l’est le solo de piano Jazz Funk.
Le quintet enchaîne par “Un Grain de Sable”, un morceau qu’elle démarre par un motif vocal. La basse et la percussion rejoignent la voix et la trompette dans cette mélodie, qui puise dans les racines Africaines. Ce thème propulse le pianiste, qui déroule avec fluidité des phrases intenses. Camille Bertault s’échappe elle aussi en impro et s’illustre par sa maîtrise de la mise en place, par sa tessiture, où les notes montent très haut et enflamment la Caverne. Elle reste sur une note aiguë pendant plusieurs secondes, avant de finir par le thème orné d’envolées de trompette.
Changement d’ambiance quand le quintet présente la chanson “Bizarre”. La mélodie et le contrechant à la trompette diffusent un climat mystérieux et trouble. Les mots sont choisis avec précision, la diction est limpide et apaisante.
Camille présente “Dodo”, un rap qui m’impressionne par l’enchaînement des mots, ponctué par la basse et la percussion. Elle lance des notes aiguës, puis envoie les débits de mots percussifs sur des harmonies Monkiennes. Au cours de cet instant la chanteuse montre son aisance dans les mises en place, son plaisir de partir dans d’autres directions vocales ou même d’imiter un chat.
Explosif est le morceau suivant “Impulsion”, signé Julien Alour. La mise en place de la voix et de la trompette, la synchronisation au moment de l’interprétation du thème valent aussi le détour. De ce thème qui varie binaire et Up-Swing, la trompette décolle vers un solo d’esthétique Hard Bop, accompagné dans les premières mesures par des vocalises.
Lumineux aussi est le pianiste qui enchaîne ses single-notes d’une grande limpidité. Le contrebassiste introduit un motif en boucle qui rebondit à merveille sur la percussion énergique et flamboyante de Minino Garay.
Le thème suivant s’appelle “Ballade For N”, composée également par Julien Alour. Cette mélodie empreinte de sensibilité et d’élégance me fait penser à “Chan’s Song” d’Herbie Hancock ou “Infant Eyes” de Wayne Shorter. La chanteuse nous emmène vers des sommets de pureté, en créant de l’espace. Sa voix touchante est accompagnée par une section piano basse percussion des plus délicates. Julien Alour a non seulement un son suave, proche du bugle, mais déroule aussi des phrases chantantes et poétiques.
“Voir la mer” est une chanson qui parle de l’évasion, de l’imaginaire, qui aide à dépasser une réalité synonyme de souffrance. La séquence démarre par un rythme Africain, une ligne de contrebasse profonde et des accords de piano cristallins. Le texte interpelle, la voix nous touche au cœur, le piano explose.
Après ce morceau émouvant, la chanteuse navigue de mots en mots, sur une jolie mélodie dansante sur un rythme rapide en trois temps
Ce que la chanteuse nomme joliment “mignardise”, est une séquence où le piano et la voix déroulent une ligne mélodique rapide à haut débit, ressemblant à une œuvre de Jean Sébastien Bach. Je suis époustouflé par la technique de respiration hors du commun et par les flots de notes, que la voix arrive à chanter.
Au cours de la séquence suivante, le batteur et la basse électrique envoient un groove délicat, que la trompette met en exergue par sa sonorité délicieuse et ses motifs Bluesy. Julien Alour est dans une esthétique proche de Roy Hargrove, par le son et la direction des phrases.
Le quintet enchaîne par un lando, un rythme Peruvien que la chanteuse introduit par des notes aiguës. Accompagnée seulement par la percussion, le piano et la contrebasse font leur entrée au moment de l’exposé du thème. Le pianiste s’engage dans un solo où il emmène avec lui la rythmique. À la fin du morceau, la chanteuse toujours inventive, part dans les aigues, reflétant sa pointe de folie, audacieuse et créative.
Une seconde “mignardise” nous fut proposée, une mélodie d’Egberto Gismonti très rythmée et difficile à asseoir. Elle et le pianiste nous offrent ce thème qui la fait s’envoler vers des notes pures, dont certaines me rappellent des passages de “Round Midnight”. Ce morceau Brésilien illustre le degré d’esthétique vocale de Camille Bertault qu’elle poursuit sans cesse. Cette artiste aime les variations, aime tenter des choses nouvelles et risquées. Ses textes originaux, la chanteuse les sublime par son grain de voix affiné, sa justesse, son empreinte si personnelle.
Autre grand moment de la soirée est la chanson “Nouvelle York”, au cours de laquelle la chanteuse tente de faire ressentir l’ambiance de cette grande ville. Fady Farah démarre par des accords groovy à la Herbie Hancock, sur une percussion qui accentue bien l’after-beat.
La chanteuse surprend une nouvelle fois quand elle reproduit le son des sirènes d’ambulances, avant de nous hypnotiser par sa mélodie. Julien Alour livre encore un solo de folie, aux nombreuses articulations Be-Bop sur ce rythme Funk. Il se transforme en Roy Hargrove.
Le contrebassiste fait claquer les cordes et relance ainsi le percussionniste intense dans ses frappes. Ces frappes sont encore puissantes, quand la chanteuse et ses compagnons rendent hommage à Hermeto Pascoal, ce musicien Bresilien à l’éclectisme étincelant.
La voix se place avec une précision hallucinante sur un tempo de Samba.
Camille Bertault n’emprunte pas les sentiers déjà arpentés. Au fil de ses textes aux mots finement choisis, elle nous emmène où elle veut, du Swing à la valse, au Rap en passant par le groove funky et des motifs de musique Classique.
Sa technique vocale la fait atteindre des sommets mélodiques et rythmiques.
En communion avec ses musiciens, elle est habitée par la danse, fait danser ses paroles sur la musique, ressentant chaque élément du rythme.
Vocaliste de renommée internationale, Camille Bertault transcende sa technique pour nous transmettre des émotions très variées, de la joie, de la chaleur et parfois des choses plus poignantes.
Elle vibre sur chaque mot et chaque note qu’elle déclame avec puissance et engagement. Technique, sensibilité, sensualité et poésie, quelques mots qui pourraient résumer son œuvre.
Un concert hors normes surprenant du début jusqu’à la fin.